Premier contact – Cafétéria 

Premier contact – Cafétéria 

Départ en voiture pour liège aux aurores, dans l’espoir d’arriver au laboratoire d’Eric Parmentier aux alentours de 10h00. Philippe, parti de son côté en train, est accueilli par le spécialiste et a déjà pu longuement échanger avec lui quand nous arrivons (enfin) sur le campus arboré, vers midi.

Un déjeuner à la cafétéria de l’Université nous permettra de déguster quelques spécialités locales (les « boulets » à la liégeoise et les croquants) pour progressivement aborder une autre spécialités, en apparence moins locale : le mystérieux chant des poissons.

Eric est sans aucun doute un passionné, motivé par un certain « agacement » pour ce sujet qui échappe encore, après de longues années d’étude, à sa compréhension. On écoute le récit de ses rencontres avec les plus grands spécialistes mondiaux : Michael L. Fine, Robert D. McCauley, Miles J. G. Parsons etc… mais aussi Lucia DiOrio (précédemment citée). Ces noms qui (jusqu’alors, n’étaient là que pour recouvrir nos publications) évoquent désormais d’intenses discussions et un profond respect entre les chercheurs.

Au fil de leurs études, ceux-ci se sont accorder pour dire que le muscle sonique est l’organe producteur de son : c’est lui qui met en vibration le poisson à des fréquences pouvant aller jusqu’à 300 Hz, selon les espèce. La vessie natatoire serait, quant à elle, plutôt responsable d’un assourdissement du son, absorbant rapidement la vibration produite par le muscle. Eric à missionné un étudiant de Master pour précisément étudier le mode vibratoire de la vessie natatoire et son évolution au cours du temps.

Selon Eric, l’homme connais bien et depuis longtemps « le chant des poissons » : le « grondin » tiendrait son nom de sa capacité à « gronder » et il n’est pas impossible que le mythe des sirènes (femmes-poisson) soit issue des sons produits par certains mammifères marins.

Les recherches de Thomas Duchenne

L’après-midi débute avec une présentation des travaux de Thomas Duchenne, étudiant en master dans le laboratoire d’Eric Parmentier. Ses recherches consistent à stimuler une vessie natatoire avec un marteau piézo-électrique, qui mesure précisément la force avec laquelle il stimule la vessie. Il mesure ensuite le déplacement et la vitesse qui suit cette stimulation avec un vibromètre laser. Il réalise aussi des coupes histologiques pour analyser cela en microscopie optique pour voir si il y a différents paramètres qui permettent de caractériser la vessie.

Pour le paramètre de déplacement : lorsqu’il stimule la vessie natatoire d’une Loche Brotia (type de poisson clown) avec le marteau, il obtient un pic puis la vessie descend et remonte. Elle ne résonne pas vraiment. Eric constate qu’il y a tout de même sur la courbe une petit oscillation et Philippe assure que cette courbe est caractéristique du comportement viscoélastique de la vessie. Le point où Thomas réalise sa mesure ne correspond pas exactement au point d’impact du marteau et cette réponse dure environ 50 ms. Chez le piranha à ventre rouge, Thomas observe plus ou moins la même chose, sans la petite oscillation. Chez le pangasus, il observe quelques petites oscillations qui reviennent lentement à un état d’immobilité. Ici encore, Philippe évoque les propriétés viscoélastiques du matériaux. L’éponge est par exemple un tel matériau : quand on la presse, elle revient lentement à son point d’immobilité. Pour Eric, cela serait donc lié à la composition de la vessie (collagène et viscosité du matériaux). Bien que petites, les oscillations correspondent selon Philippe à autre chose. Thomas trouve aussi ces oscillations chez la carpe koï.

L’appareil de Weber, qui existe notamment chez les poissons-chat, les piranha, les carpes, est une chaine d’osselets placée sur la colonne vertébrale qui relie la vessie natatoire au système auditif du poisson. Il intervient dans l’équilibre et les capacités auditives des poissons. Quand on appuie sur la vessie natatoire, les osselets bougent et augmentent les capacités auditives du poisson. Eric se demande si les petites oscillations pourraient être la réponse de ces petits osselets à l’impact du marteau, mais certains tests réalisés sur des poissons ayant un appareil de Weber ne présentent pas d’oscillations…

Philippe fait l’hypothèse que cette réponse est le résultat d’une onde circulant sur la paroi de la vessie à l’issue de l’impact avec le marteau. Il y aurait donc des vessies qui résonnent plus ou moins, mais Eric note que le signal obtenu ne repasse pas au dessus du point zéro. Thomas et Térence s’accordent pour dire que certains signaux sonores dont le point d’origine est déplacé peuvent rester en dessous du zéro.

Selon Philippe, la vessie n’est pas un oscillateur simple. Il serait intéressant pour lui de mesurer la réponse de la vessie à différents endroits pour savoir en quelle mesure la forme de la vessie intervient dans la propagation du signal. Philippe demande si les différences de signaux peuvent venir de la peau de la vessie, plus ou moins tendue. Pour Thomas, la forme n’est pas la même, mais la texture est cela assez équivalente, par exemple entre la carpe et le poisson-chat.

Lia s’interroge sur les différences de formes entre les deux espèces. Chez la carpe, la chambre antérieure est plus grande que la chambre postérieure. Dans ses expériences, Thomas a tapé sur la chambre antérieure car la postérieure était trop petite. Chez le poisson-chat, les deux chambres sont séparées par une sorte de « pilier » et là encore, Thomas a du se placer sur la chambre antérieure pour ne pas toucher le pilier et parce que la chambre postérieure était trop petite. Les formes varient finalement beaucoup et Thomas doit donc parfois déplacer sa mesure d’un centimètre.

Philippe demande si la vessie se dégonfle durant les expériences. Thomas ferme le canal pour éviter que l’air ne s’échappe, mais il est vrai que l’aspect change un peu, notamment car le corps du poisson sèche à l’air libre et la vessie devient légèrement transparente… Thomas observe encore ces oscillations chez les cichlidés mais la cage thoraciques est ici accrochée au corps de l’animal. Eric en a discuté avec M. Fine : dans ce cas précis, la résonnance ne serait pas celle de la vessie natatoire, mais de l’ensemble de la cage thoracique. D’après Michael Fine, ouvrir le poisson empêcherait un amortissement de la vessie dû aux tissus environnants. S’il y avait vraiment une résonance, on pourrait l’observer en tapant dessus. Thomas a fait le test avec une membrane de ballons et a observé que les plages d’oscillations n’étaient pas vraiment comparables à ce qu’il observe sur les vessies. Cependant il n’a pas essayé sur un ballon gonflé.

Thomas observe aussi que le déplacement dépend de la force d’impact.  Grâce à ce rapport force/déplacement, Thomas à pu comparer différentes espèces et montrer que ces réponses ne sont pas les même selon les espèces : par exemple la réponse est nettement plus forte chez le piranha. Une autre façon de faire est d’observer la pente de la régression linéaire chez les différents individus. Après analyse statistique, Thomas n’a pas pu obtenir de courbes significatives car les population sont trop variables (parfois un individu, parfois cinq). Dans une publication de M. Fine, la courbe de réaction (déplacement) après stimulation du muscle sonique, varie selon la taille de l’animal. C’est ce que Thomas souhaiterait montrer par son approche statistique.

Il a réalisé le même type d’expérience pour observer la vitesse. Il observe par ce moyen des réaction assez similaires que dans son étude du déplacement. Chez certains poissons il observe plusieurs cycles de réaction. Ce qui étonne Thomas c’est que pour plusieurs types de ciconidés (dont la vessie est assez similaire), c’est juste la taille qui semblerait justifier une pente différente.

Plusieurs facteurs semblent influer sur les propriétés vibratoires de la vessie : la taille de la vessie, la pression en gaz à l’intérieur de la vessie (lorsque les poissons sont euthanasiés il est possible qu’ils relâchent une partie de leur air), la zone impactée par le marteau (il est difficile pour Thomas d’être précis avec des structures de vessies aussi variables).

Thomas nous montre ensuite les coupes histologiques. L’orientation des fibres varie si la coupe est réalisée sur la partie dorsale ou latérale. Thomas n’a pas mesuré l’épaisseur, notamment car le formol modifie les tissus. Il note aussi qu’entre les différents modes de fixation utilisés, les tissus sont plus ou moins altérés (le formol altère plus que le Boia (?)). Sur les images, on observe bien les différentes couches de fibres.

Comme Philippe le remarque, Thomas n’a pas mesuré et comparé la durée de l’oscillation au début de ses tests. Il a pu néanmoins observer plus tard que cette durée varie selon les espèces et en fonction de la force de frappe. Pour le moment il n’a pas encore assez de données sur ce point. Pour Philippe, la fréquence d’oscillation et le temps de retour à la normale sont deux mesures intéressantes. Chez la carpe koï, la force de frappe ne semble pas avoir d’influence sur la période de réaction de la vessie tandis que chez d’autres espèces c’est le cas. D’après Eric, la remarque de Philippe sur une possible répercussion de l’impact entre les deux chambres de la vessie est intéressante.

Philippe demande ce qui détermine la pression de gaz dans la vessie. Pour Thomas, il y a deux types de vessie : la première possède un canal pneumatique qui fourni du gaz; les espèces qui n’ont pas de canal ont une glande à gaz. Il y a toujours du gaz et une mise en tension dans la vessie. Le poisson module ce volume de gaz. Le poisson a flottabilité neutre, dépendante d’un certain volume de gaz, uniquement à une profondeur donnée. Quand il remonte ou descend, il change cette flottabilité (comme le plongeur qui expulse l’air en remontant). D’après Eric, lorsque le poisson remonte, le gaz et réabsorbé et passe dans le système sanguin. Si cette air n’est pas expulsé lors de la remontée, le poisson explose. La vessie est tendue mais ne change pas énormément de volume. Dans le poisson, cette poche est tout de même contrainte par ce qui l’entoure. Comme pour nous les côtes sont libres mais limitent tout de même son expansion.

Pour Philippe, le module de Young pourrait montrer la résonance de la poche de gaz dans la mesure où il prend en compte la nature de l’enveloppe (plus l’enveloppe est rigide, plus elle résonnerait à haute fréquence). Pour Éric il pourrait être intéressant d’avoir cette donnée. Avec le module de Young on mesure le point de saturation d’une élasticité lorsqu’on étiré un matériau dans un certain sens. D’après Eric, le travail de Thomas est intéressant car il s’y distingue deux types d’élasticité des vessies. Lia note que l’élasticité dans le sens latéral et longitudinal n’est pas le même. C’est ce que présument aussi les images en microscopie optique où ces deux structures des tissus diffèrent.

Discussion n°1 – salle de cours

Nous montrons les recherches menées durant la première résidence et notamment nos expériences sur le module de Young entre une vessie natatoire de truite et un ballon de baudruche. Eric note que leur élasticité est très différente : d’après Mickael L. Fine, les capacités d’absorbance de la vessie seraient les même qu’un pare-choc de voiture.

Nous faisons ensuite écouter le son produit par notre ophidion de baudruche et le principe du stick-slip. Cela intrigue Eric car le son ressemble mais pour eux, il n’y a pas de résonance de la vessie possible. Nous voudrions de notre côté comprendre comment fonctionne ce muscle sonique. Pour Eric, il y a une mise sous tension puis détente. Ils défendent l’idée que lorsque le muscle se relâche, il y a un mouvement au niveau de la cage thoracique et que c’est ce mouvement qui provoque l’onde. Chez beaucoup de poissons, il y a la vessie et un muscle qui va vers le crâne. Quand le muscle se contracte, toute la vessie avance. Cela peut battre cent fois par seconde dans le cas du poisson qui possède une « ceinture musculaire ».

Eric évoque de possibles contractions du muscle sonique jusqu’à cinq cent fois par secondes ! Aussi, la vessie ne résonnerai pas car sinon sa fréquence de résonance interférerai avec la contraction du muscle. Sur certaines espèces, un muscle plus petit aiderai la vessie à reprendre plus rapidement sa position initiale. Il n’y a pas de glissements ou de frottement entre le muscle et la vessie sur ce poisson étudié. Par contre, peut-être y-aurait-il un léger glissement sur d’autres espèces.

Mais qu’est-ce qui produit le son, les côtes ne bougent plus trop, sont-ce les tendons qui vibrent, comme un système de corde de guitare ? Il faut demander à un physicien dit Eric. Est-ce une question de physique ou de biologie ? Car la biologie peut devenir de la physique. Qu’est-ce qui agit ? Quelles sont les contraintes des matériaux ? Étudier les module de Young sont une piste.

Nathalie Henrich, qui étudie la production vocale au GIPSA-LAB, travaille beaucoup avec des laboratoire pour produire des élastomères avec un tissus pour obtenir des qualité particulières, et nous pourrions aller vers ça pour la reproduction artificielle d’une vessie natatoire. Lia évoque des ballons de baudruche gainés avec du tissus. On sent qu’il y a une résistance du matériau, plus rigide grâce aux fibres internes. Mais nous aurons toujours ce problème d’épaisseur. Les épaisseurs sont-elles toujours différentes ? Thomas explique, que sans l’avoir mesuré, les épaisseurs varient, certaines parois sont translucides. Y aurait-il des parois cartilagineuses ? Il y a des vessies qui font jusqu’à 2,5 mm d’épaisseur. Le mérou ? Non, la vessie de mérou, elle n’est pas si extraordinaire dit Eric, c’est une vessie de genypterus, un poisson qu’on ne trouve pas par ici, je vais te faire écouter, c’est mieux qu’un mérou ! C’est génial pour nous répond Lia, c’est facile de faire gros, c’est plus difficile de faire fin. Eric continue : la vessie n’est pas uniforme, elle fait deux millimètres d’épaisseur, sauf sur une petite bande où là elle fait la même épaisseur que les vessies étudiées par Thomas, et c’est justement ce qui permet le clapet, ce mouvement d’avant en arrière de la vessie. Ce mouvement ne ferait pas bouger la vessie proprement dite, mais plutôt les côtes. Ou alors on s’intéresse à une autre étude : la vessie est importante parce qu’elle est liée au côtes, et que c’est l’ensemble côtes plus membrane qui fait la membrane d’un haut-parleur. Térence précise que de toutes façons c’est par l’eau que ça doit passer, ça doit émettre à travers l’eau et c’est cette partie là qui émet. Mais dit Eric, si on a une vessie qui ne vibre pas, comment se fait-il qu’on enregistre des sons ? Si ce n’est pas la vessie qui vibre, ça doit être autre chose… et alors dans le cas des poissons clowns, l’idée c’est qu’on pourrait avoir une vibration au niveau des dents, ou à nouveau un propagation de la vibration des dents à la cage thoracique. Térence s’interroge. Lorsque l’on voit le relâchement, il y a après une reprise de la position initiale, grâce à la viscosité et à l’élasticité. Et si cela se produit plusieurs fois, il y a forcément un déplacement de la matière, donc il n’y a pas de phénomène de résonance, mais il y a quand même transmission. Mais il n’y a pas de mode de résonance avec la vessie reprend Eric.

Lia intervient, peut-être que la vessie ne vibre pas, mais ne fait-elle pars vibrer le poisson ?? Les côtes agiraient comme une membrane de haut-parleur répond Eric. Mais ça c’est pour une espèce, car il y a d’autres poissons où la vessie natatoire n’est pas collé aux côtes la vessie natatoire. Ceci dit, il n’y en a pas beaucoup. Ou alors cette espèce qui a un plaque osseuse sur le côté. Avec deux grosses côtes qui se sont transformées pour former deux cuillères. Là aussi on se dit que tout ça ça doit rentrer en vibration. Mais il n’est qu’à l’étape de l’hypothèse. S’il avait un carapidae dans le congélateur,  il pourrait le donner à Thomas pour qu’il tape sur la vessie et voir ce qui se passe au niveau du mouvement des côtes, mais ses carapidae sont dans le formol. Thomas répond qu’il avait essayé de taper sur les côtes des cichlidés pour voir ce que ça donnait au niveau de la vibration des côtes, et cela donnait quelque chose de similaire plus ou moins similaire à la frappe sur la vessie natatoire.

Thomas projette alors des diagrammes issus de ses mesures. Eric voit qu’il y a une autre vibration qui suit l’impact. Thomas suppose que c’est le bruit de fond produit en touchant légèrement la table. Eric ne comprend pas pourquoi il aurait touché la table lorsqu’il tapait sur les côtes et pourquoi il ne l’aurait pas touché lorsqu’il tapait uniquement sur la vessie. Il semblerait qu’il y ai une ondulation. Cela voudrait-il dire que le poisson résonne demande Térence ? Alors Eric rappelle qu’une côte n’est jamais qu’un os lui-même articulé sur une vertèbre, avec deux ligaments au-dessus, deux ligaments au-dessous. Philippe se demande si ne ressemblerai pas à un instrument de musique. Térence pose la question d’acoustique sous-marine : quelle est la directivité des sons en fonction de leurs fréquences, notamment entre 500 Hz et 2000 Hz ? Eric a lui entendu dire que le son se propageait dans toutes les directions de l’espace dans l’eau. Thomas explique qu’il a observé que le son est plus intense à l’avant, et qu’il est moindre au niveau des oreilles. Lia compare cela aux angles morts que l’on peut avoir en conduisant une voiture.

Une manipulation est proposée pour l’après-midi, avec une carpe. Eric nous propose d’écouter des sons et de voir des dessins.

Discussion n°2 – Bureau d’Eric

Écoute de quelques chants de poissons (maigre, mérou, carapidés) avec Eric Parmentier et discussion sur l’anatomie des poissons. Un exemple particulier  : le carapus . Eric : «  voilà le crâne, la colonne vertébrale, les côtes. La côte qui est un peu transformée, en forme de cuillère. Ça se sont les muscles qui permettre d’étendre la vessie. Peut-être pour faire varier, comme on le disait, en fonction de la profondeur. Les muscles sont tout à fait particuliers : ils sont longs et viennent se loger en dessous de la cuillère, le muscle a une épaisseur plus fine. ». Eric note que cela reste une vue d’artiste. La partie avant est tirée par le muscle puis revient et cogne, lorsque le muscle est relâché. « cogner ou faire bouger les côtes… on sais pas trop ! Ou alors, c’est la cuillère avec la paroi juste en dessous… voilà.»

« On a aussi des choses comme ça… quand je vous disais que vous étiez un peu pauvres avec votre vessie de truite! »

« Là, tu vois le bilou! Il y a un, deux, trois muscles ; une vessie qui est tellement transformée qu’elle forme une structure squelettique! On a pu déterminer qu’il y avait un muscle qui se contractait après l’autre et à l’intérieur de la vessie; on a encore vu ça : trois membranes ! Et pour le moment on a pas encore compris à quoi servait cette structure. Ce poisson c’est la donzelle : l’ophidion rochei ».

«  Mon idée, c’est qu’on a ici un bouchon, comme sur une bouteille de vin. Mais celui-ci ne va pas se détacher complètement, donc t’es capable de tirer dessus et il revient. A chaque retour, il y aurait le son. Le muscle qui est là, il va tirer vers l’arrière et là c’est directement relié au truc…. Comme un arc à flèches : au repos, tu as le bois et la corde et on tend le système. Ici, le bouchon est amené vers l’arrière et le muscle qui est là sert à tirer vers l’avant, mais comme il y a déjà une force vers l’arrière, quand le muscle se relâche, il revient beaucoup plus vite, évidemment ! Ce que je peux dire c’est que ce système change en fonction des individus, que les femelles n’en ont pas et qu’elles ne font pas le même son. »

Térence remarque que cela semble servir à accorder la résonance. Eric a essayé de comprendre ça avec le principe de résonateur de Helmholtz. Philippe explique que le résonateur de Helmholtz ouvert et non fermé comme ici. « oui, ça m’emmerde » dit Eric.

« Ma conclusion, bien que je ne comprenne pas, c’est que cette membrane doit aider à encaisser la variation de pression quand la boule revient. Comme si c’était une valve de pression. » Térence remarque qu’en fonction des fréquences, c’est comme si c’était ouvert le résonateur de Helmholtz : ça fait un filtre acoustique qui laisse passer les graves. Comme le déplacement peut être transmis c’est comme si c’était ouvert. Pour Philippe, la caractéristique le Helmholtz c’est de faire des résonances beaucoup plus graves que celles données par la taille d’un objet. On a pas besoin de caser une importante longueur d’onde dedans.

Celui-ci nous évoque un coquillage, il semble rigide. Cela expliquerait, selon Philippe, la présence de parois plus fines. Lia remarque qu’il y a quand même un lien avec notre modèle du « stick-slip » : c’est l’emmagasinement d’énergie. Les muscles soniques sont gros et occupe une place importante dans le corps. Le formol semble rendre les tissus tannés. Eric sort l’organe du formol. L’aspect est en effet plus celui du cartilage, comme le cuir, plutôt qu’une peau souple. C’est ce que nous avions observé chez le merlu provenant de notre poissonnier grenoblois.

Un troisième type de vessie présente un muscle à l’extérieur qui va tirer vers l’avant et à l’intérieur, un autre muscle replié. La vessie serait une extension du tube digestif et les muscles qu’on y retrouver sont donc un peu près les même (avec des contractions involontaires de 2,5 Hz seulement). Philippe remarque que le son produit par ces différents systèmes n’est pas fondamentalement différent, il s’agit toujours d’impulsions, bien que le timbre diffère.

Eric nous fait ensuite écouter deux poissons de taille différente qui produisent deux sons dissemblables. Nous regardons un autre exemple de deux poissons qui réalisent une danse pendant qu’ils produisent leurs sons (claquements de dents). Eric évoque aussi les plages horaires durant lesquelles seules certaines espèces de poissons chantent. Ainsi, différents chants peuvent être enregistrés à différents moment de la nuit.

A Tahiti, certains poissons émettent leurs chants dans une huitre. Celle-ci leur sert de haut-parleur pour émettre le son plus loin. On écoute ensuite le Térapon et le Pelates dont le son ressemble à un klaxon. Il est émis par des contractions très rapide de la vessie. Un autre poisson émet des son à 350Hz ce qui pour notre oreille donne l’impression d’un son continu. Les poissons n’entendent pas les bruits parasites (crevettes claquettes qui émettent à 700 Hz, par exemple) car son audition se limite à une certaine bande de fréquences.

A propos des fonctions de la vessie natatoire, certains poissons ont une vessie qui n’est pas collée mais placée à 30° de la colonne vertébrale. Elle se loge dans des os qui sont dans le prolongement de la nageoire. En plus, c’est comme si la poche se prolongeait en deux écouteurs qui viennent taper sur l’oreille. Ce poisson peut en outre aller se loger dans le sable et entendre le son des proies (les vers) qui se déplacent. La vessie transmet donc le son au système auditif. Térence remarque que c’est comme la réversibilité des systèmes micro/haut-parleur, un microphone dynamique peut-être employé comme haut-parleur, et réciproquement.

Certains poissons entendent aussi grâce au mouvement particulaire (pas seulement les ondes de pression). La vessie est capable de transformer l’onde de pression en mouvement particulaire. Autrement dit, un poisson qui possède une vessie natatoire entend mieux qu’un poisson qui n’en a pas. Et plus cette vessie est proche du crâne, meilleure est la capacité auditive du poisson. On en revient à la chaine de Weber évoquée précédemment : l’onde de pression impacte la vessie qui transmet cette vibration à une chaine d’osselets qui pousse le liquide auditif.

Les harengs sont capable d’entendre les dauphins grâce à une vessie qui se prolonge en tube, gros comme une aiguille d’épingle, et à l’autre extrémité on a une petite poche d’air à côté du cerveau. L’onde est donc transmise sans perte au cerveau. Ils ont aussi des « maculas » (cellules sensorielles) un peu plus développées que les autres poissons.

Dans le cerveau des poisson, on a de part et d’autre les oreilles qui sont composée de trois canaux semi-circulaires (pour l’équilibre) et en dessous les otolithes (cailloux d’oreille). Ces cailloux sont en relation avec une plaque recouverte de cellules ciliées qui n’ont pas toutes la même taille. En bougeant les cailloux, on fait bouger les cils qui sortent et un type d’influx nerveux est envoyé au cerveau. Si le son est plus fort, plus de cils bougent et un autre type d’influx nerveux est envoyé au cerveau. L’oreille et le crâne du poissons n’ont pas la même composition chimique et c’est ce décalage qui permet la transmission de l’influx. Si les « maculas » ne sont pas tout à fait pareil, le poisson est sensible à plusieurs types de variations dans l’oreille. La vessie est donc très importante pour l’audition : plus qu’une caisse de résonance, c’est une caisse d’amplification.

Philippe explique que l’impédance acoustique est un peu comme l’indice optique (réfléchie lorsqu’il y a un changement de milieu). Le passage du son de l’eau à l’air de la vessie va donc diminuer considérablement le signal : les ondes vont être réfléchies et ne vont pas passer dedans. Il y a un écho qui va être produit.

Philippe conclue qu’il a théorie : la production du son serait un petit choc élastique à un endroit de la vessie qui va se propager sur toute la surface et va être réémis. Tout cela dépend vraiment de l’élasticité de la membrane (Il ne faut pas que la vessie soit trop élastique.). Eric fait l’hypothèse qu’à partir d’un certain module de Young on serait obligé d’avoir une partie de la vessie plus mobile pour avoir de grandes amplitude. En dessous d’une certaine valeur, le muscle pourrait suffire, au dessus la création d’une vessie serait nécessaire.

Un poisson simple pour nos premiers tests serait le Tilapias (?) d’après Eric. Reste encore à résoudre la question de comment le muscle pourrait être simulé…

Discussion n°3 – Salle d’expérience de Thomas

Nous arrivons dans la salle de manipulation où Thomas nous explique le dispositif. Un laser, d’une précision de l’ordre du nanomètre mesure l’enfoncement et le relâchement du poisson, frappé par un marteau piézoélectrique. Le marteau piézoélectrique mesure en Newton l’intensité avec laquelle est frappé les différents endroits du poisson. Des explications sont données aussi sur l’éventuel enregistrement d’artefacts, les défauts et les contraintes de son système de mesure.

Philippe ne manque pas de remarquer l’influence des matériaux qui entourent la vessie et qui pourraient fausser la mesure. Peut-être les autres tissus internes contigus auraient-ils eux-mêmes un comportement visco-élastique, et donc une influence sur les résultats obtenus. Bien sûr, cela varie d’une espèce à l’autre. Afin de vérifier cette influence, Philippe propose de filmer avec une caméra rapide. Il propose aussi de faire des mesure en tapant le plus loin possible du point de mesure du laser. Une mesure est obtenu, l’onde de frappe circule dans le poisson à deux centimètres par millisecondes, soit environ cinq mètres par secondes. Il est noté que certaines vessies étant trop fragiles, il n’est pas possible de frapper assez fort pour étudier suffisamment précisément les cycles de réponse qui pourrait suivre. Il est aussi impossible de travailler à partir de poissons congelés car la fibres est trop endommagée par la congélation. Un autre aspect est pris en compte : le simple fait d’ouvrir le poisson pour atteindre la vessie implique que l’on n’aie pas la totalité de la viscoélasticité naturelle du poisson et le comportement de la vessie est donc faussé. Peut-être en irait-il de même pour les aiguilles et la cire qui servent de support.

Le poisson qui est frappé pour les mesures ne possède pas de muscle sonique. Il est toutefois intéressant pour ses capacités auditives. Il s’agit de la carpe koï. Cette carpe possède une chaîne de Weber, c’est-à-dire une chaîne de quatre os qui rapporte et amplifient la vibration sonore jusqu’à l’oreille interne. Michael Fine, qui a beaucoup étudié la production du son chez certains poissons a quand à lui travaillé sur le poisson crapaud. Ce poisson semblerait être la référence des poissons. Le sens des fibres de la vessie natatoire a été étudié.

Eric reviens avec une caméra pour filmer en accéléré. Nous essayerons en vain de la mettre en fonctionnement. Pendant ce temps là, la vessie natatoire de la carpe koï sèche… Philippe, Lia et Térence réfléchissent à une méthode pour simuler l’ensemble muscle / tendon / vessie, à l’aide de haut-parleur et de couches de latex. L’emploi du pot vibrant du Liphy est évoqué.

Discussion n°4 – Bureau d’Eric

Dans le bureau d’Eric nous entendons de nombreux autres chants de poissons que nous ne connaissions pas encore. Nous commençons par le pelates. Une sorte de son de klaxon très court, une petite note à la hauteur légèrement irrégulièrement. Un cousin, le térapon, produit des choruses très intéressants. Isolé, on croirai entendre le son d’un télégraphe en morse, un peu plus grave, et aussi avec cette irrégularité dans la justesse de la hauteur. Cette légère variation qui rend le son plus organique.

A l’aide d’une analyse de spectre, on s’intéresse à la ‘note’ produite par ces sons, en trouvant la fréquences de la note la plus grave, la fondamentale. Eric emploie alors le même logiciel d’analyse des sons que Nathalie Henrich utilise au GIPSA lab pour analyser la voix. La fondamentale est bien à 265 Hz, mais c’est la seconde harmonique qui est bien plus puissante. Donc le muscle se contracte à 265 Hz, mais un phénomène produit des harmoniques, comme chez d’autres poissons nous confie Eric. Cela nous rappelle notre expérience du haut-parleur vibreur en contact avec le ballon de baudruche (cf. expérience du 2018-02-01 intitulé “mise en vibration d’un ballon”), qui générait de très nombreuses harmoniques bien au-delà de la fondamentale émise par celui-ci.

Un autre enregistrement étrange attire notre attention. Ce sont les artéfacts qui s’avèrent être les éléments les plus intéressant. Le son du poisson, légèrement écrêté (enregistré à trop fort niveau) fait résonner l’aquarium. Puis, nous entendons la même espèce dans son contexte naturel, avec la manière dont se répondent les poissons au loin. Plus sonore que celui qu’Eric nous avait sorti du formol, toujours dans la famille des ophidiiformes, le genypterus, un poisson d’environ un mètre de long, vivant par cinq cent mètres de profondeur. Enregistré dans un aquarium en plastique de trois mètres de diamètre. Ensuite, l’ostracion, capable de produire un son continu ponctué de pulses. Le son continu peut durer plusieurs dizaines de secondes. Cela nous évoque une tuyauterie capricieuse.

Une partie de ces sons sont disponibles sur une sonothèque de l’université de Liège, on peut notamment y entendre une quinzaine d’espèces de poissons clowns qu’Eric a étudié, ainsi que des piranhas. Certains sons semblent très proches, et c’est seulement avec un logiciel d’analyse que les différences sont perçues entre les espèces. Parfois, lorsque le poisson est enregistré en aquarium, on peut entendre en fond l’ambiance du laboratoire, les scientifiques qui discutent ou écoutent la radio… Sur d’autres prises de sons, les aigus sont filtrés pour diminuer le bruit des crevettes pistolet. Dans ces enregistrements, nous opérons une pré-sélection des sonorités que nous aimerions reproduire. Nous enchaînons l’écoute de nombreux enregistrements audio de poissons, souvent sans en connaitre le nom. Eric nous parle de ses difficultés d’identifier le fonctionnement de certaines espèces, lorsqu’il n’y a qu’un enregistrement sonore et quelques images. Un peu d’aide pour encore mieux comprendre le fonctionnement des vessies natatoires serait la bienvenue. Viens alors le moment de quitter l’univers sonore subaquatique pour découvrir les bières locales chez lui.

Bruitage avec André Fèvre – Paris

Notre séjour à Liège nous aura montré que beaucoup de zones d’ombres subsistent concernant les mécanismes impliqués dans la production des sons émis par les poissons. En nous basant sur l’expérience de l’ophidion de baudruche, nous allons nous éloigner temporairement des méthodes scientifiques, pour faire appel à une approche plus intuitive des sons : la démarche concrète, employée par les compositeurs de musique acousmatique, où l’on se fie uniquement au résultat sonore et non pas au mode de production des sons.

Nous faisons ici l’hypothèse que le mécanisme de production d’un son peut aussi être trouvé par l’expérimentation de certaines matières et objets, révélant ainsi les principes intrinsèques propre au son recherché. Nous faisons appel à André Fèvre, bruiteur pour le cinéma, pour nous aider à reproduire le chant des poissons en utilisant des objets apparemment très éloignés d’un muscle sonique ou d’une vessie natatoire. Celui-ci aura toute liberté dans les moyens utilisés pour reproduire ces sons. Nous lui avons fourni préalablement une banque de sons de poissons, intéressants pour leur rythme, leur musicalité, leur étrangeté. Ils seront, à terme, la matière sonore de notre composition. Nous passons deux jours d’expérimentation avec lui, au cœur d’une multitude de matières plastiques…

Ici, les sons produits par les crevettes claqueuses (ou crevette pistolet) sont reproduits à l’aide de ballons de baudruches. Nous testons trois manières de produire le sons.

De petites bulles de latex sont appuyées fermement contre une autre surface plastique, créant des percussions courtes et nettes

Le benthos (paysage sonore produit par les invertébrés) peut être modélisé avec une bande magnétique dont les crépitement évoquent les bulles de cavitations produites par les crevettes claqueuses.

Le mérou peut être reproduit avec un pot de peinture et une tige en plastique. Sur le modèle de la cuica brésilienne, nous pouvons faire entrer en vibration le pot en pinçant et tirant la tige avec une main mouillée.

Le son vif de “klaxon” des pelates et térapons peuvent aisément être reproduits avec un petit synthétiseur.